par Sarah Abichid
Ce récit a été vécu par une famille M.GS et son épouse. A Créteil village.
Tout ce que fait Hachem est pour le bien, même la stérilité.
Tournez les pages et vous en saurez davantage. En vous souhaitant bonne lecture.
1er Episode
Une angoisse au cœur, Lydia Sadoun traversa rapidement la grande demeure silencieuse, trop silencieuse à son gré. Ses mules bruissaient sur le tapis précieux. Qu’avait-elle à faire de tout ce luxe, de ces toilettes se demandait-elle en observant sa silhouette qui se reflétait sur les vases de cristal et les candélabres d’argent. Un cadeau de Hanoukka que son mari lui avait rapporté lors d’un de ses voyages. Son époux la gâtait outre mesure, mais rien ni personne n’était à même de lui offrir ce qu’elle attendait de la vie : Un désir de femme aussi simple que la rosée du matin. Avoir un enfant, le serrer dans ses bras, respirer l’odeur de lavande et de miel qui émane de ces petits êtres. Elle se dirigea vers la terrasse, observant le vas et viens des voitures au loin. Mais rien ne semblait annoncer la venue de Georges. Elle avait eu une journée harassante à la clinique, à peu près semblable à toutes les autres, mais aujourd’hui avait été particulier. Elle voulut pleurer, mais c’était comme si elle avait fermé la porte de ses larmes. Du regard elle interrogeât le ciel nocturne mais n’y vit rien d’autre qu’un vaste océan d’étoiles. Nerveuse et impatiente, elle regagna le salon et reprit sa lecture avec un manque de concentration évidant. A bout de patience Lydia regarda à nouveau sa montre et nota qu’il était déjà vingt et une heures trente. Georges n’était toujours pas rentré. Inquiète elle posa nerveusement son livre sur la table du salon et jeta un coup d’œil circulaire à la maison impeccablement rangée. Le dîner était prêt, une bonne odeur émanait de la cuisine. Une heure plus tard, Lydia, les yeux fiévreux, les traits tendus, était toujours assise dans le salon, se demandant quelle était la cause de ce retard ? Son mari ne avait-il pas à quel point cette journée était importante et décisive pour elle et leur avenir ? Georges avait pourtant promis de lui téléphoner à quatorze heures ; comment avait-il pu oublier de le faire ? Un long frisson lui parcourut le dos, tandis que les pensées les plus folles lui traversaient l’esprit. Aurait-elle une nouvelle déception ? Elle sortit de ses pensées. Une portière venait de claquer dans le silence de sa nuit intérieure.
Soudain la porte d’entrée s’ouvrir. Laissant de côté ses pensées négatives, elle alla accueillir son mari sans parvenir à cacher sa nervosité, et sa lèvre inférieure se mit à trembler.
— Enfin Georges, comment as-tu pu me laisser dans une telle angoisse ? Voilà plusieurs mois que je vis accrochée à cette réponse.
Georges, embarrassé fixait le visage de sa femme. Devant la pâleur de ses traits, il eut du mal à l’affronter. Elle paraissait si fragile.
— Pardonne-moi chérie d’avoir tardé, J’ai eu un client de dernière minute, mais…
— Enfin Georges ce n’est pas de cela dont je veux parler ! Lança-t-elle sur un ton autoritaire qui ne lui était pas habituel.
Le son de sa propre voix lui parut étrange, comme si une autre personne avait parlé à sa place. Jamais elle n’avait été agressive envers son mari, elle fut soudain prise de remords.
Georges lui saisit le bras et la fit gentiment asseoir.
Allons, calme-toi Lydia, cela ne sert à rien de te mettre dans un tel état. J’avoue que lorsque l’assistante sociale ma fait part de la décision du comité d’adoption, je n’ai guère eu le courage de t’appeler, j’ai préféré t’annoncer la nouvelle de vive voix. Que dire, il y a parfois des situations qui nous dépassent, suis-je à la place de D.ieu bon sang ?
Lydia vacilla comme sous l’effet d’une gifle en plein visage. Le cœur battant à tout rompre, elle resta un instant bouche bée, sans réaction.
Dès les premières paroles de son mari, elle avait senti la gravité de la situation, comprenant avec désespoir que la réponse qu’elle avait attendue avec tant d’impatience était négative. Pendant un long moment, elle fut incapable d’articuler un mot, puis elle leva vers lui un visage sillonné de larmes. C’en était trop. Que pouvaient-ils faire de plus ? Sans rechigner, ils s’étaient pliés à toutes les contraintes de la procédure d’adoption, remplissant d’interminables questionnaires, fournissant d’innombrables documents, supportant patiemment les enquêtes des services sociaux. Tout cela en vain. Leur attente avait été inutile, leur dernier espoir d’adopter un enfant venait de s’envoler ! Accablée de tristesse, découragée, Lydia s’était tassée sur le fauteuil, écrasée par un terrible sentiment d’échec. Elle réalisait que cette malchance risquait de mettre en péril l’harmonie de son couple et d’entamer le bonheur qu’elle partageait avec Georges depuis plusieurs années.
Il semblait à présent à Lydia que des années-lumière la séparaient de ce matin même où elle s’était éveillée pleine d’espoir.
Plusieurs années auparavant le verdict était tombé sans appel : Lydia était stérile. Elle refusait d’accepter cette réalité, mais les mots avaient leur poids, leur signification.
Après le premier choc, sa fureur s’était muée en douleur, puis les regrets étaient venus la hanter. Le chagrin l’avait épuisée à tel point qu’elle avait sombré dans une sorte d’engourdissement, cette épreuve petit à petit avait raison d’elle. Etait-elle responsable de ce décret venu du ciel ? Georges devait-il payer la rançon de cette fatalité ?
Son mari avait tenté de la convaincre, la suppliant de ne plus y penser pour l’instant, et d’attendre patiemment. Elle avait fini par baisser les bras, et se plier bien malgré elle à la volonté du tout puissant.
Leur histoire avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices. Ils s’étaient connus en soixante-deux, après la guerre d’Algérie. Dans la tourmente de l’exode, les rapatriés avaient pris différentes directions. Certains avaient opté pour le Canada ou les Etats-Unis, d’autres obéissant à un idéal sioniste ou religieux avaient choisi Israël. Les Timsit, comme beaucoup de « pieds noirs » avaient décidé de s’installer à Paris. Ils laissaient derrière eux une somptueuse demeure de style colonial dans un quartier résidentiel d’Alger. Mais comme tous les exilés contraints au départ, ils ne leur restaient guère d’autre choix que celui de leur destination. Par vagues successives, les uns et les autres partirent, trimbalant leurs valises surchargées, abandonnant leurs acquis et leur stabilité pour un avenir incertain. Cependant, malgré l’appréhension légitime, l’espoir d’être heureux sous d’autres cieux subsistait.
Pour rejoindre la métropole, les Timsit comme beaucoup d’autres compatriotes, avaient embarqué sur le Kérouan. Installés sur le pont, les parents accompagnés de leurs enfants, Lydia et Henry, fixaient l’horizon se demandant ce qui les attendait à l’issue de la traversée. Georges Sadoun voyageait également sur ce bateau avec ses parents. Les deux familles avaient fait connaissance, évoquant leurs souvenirs, et des anecdotes appartenant à une période à jamais révolue…
La famille Sadoun originaire du Maroc, avait quitté Casablanca huit ans auparavant pour l’Algérie et c’est à Marseille qu’ils avaient décidé de s’établir. Tout au long de la traversée qui devait les conduire à la citée phocéenne, ils s’étaient liés d’amitié, et avaient échangés leurs coordonnées à Paris et Marseille, promettant de se revoir. Au terme de leur périple, ils s’étaient séparés à regret, un parfum de tristesse avait envahi le port, les effluves d’un bonheur disparu s’éparpillant au milieu de leurs peines…
Bonne chance à vous et à votre famille M. Timsit.
Que D.ieu nous guide, leur avait souhaité Monsieur Sadoun, les yeux embués de larmes.
Ainsi regroupés sur le pont des dizaines de familles désemparées tentaient de se réconforter mutuellement en formulant des vœux de réussite.
Lydia se souvenait encore avec nostalgie de leur rencontre lors la traversée.
Au premier regard échangé, Elle s’était mise à rêver… N’avait-elle pas vingt ans ? Georges était un beau jeune homme au physique racé et une allure distinguée.
Le soir, accoudés au bastingage, ils avaient discuté, évoquant leur situation d’expatriés. La conversation lui revenait par bribes avec un léger goût d’amertume…
— Ce sont des milliers de souvenirs que nous laissons derrière nous Lydia, c’est un peu notre enfance assassinée, mais le plus dur c’est je crois pour nos parents. Ils ne leur reste rien d’autre que ces quelques bagages, et le souvenir de notre maison qui restera à jamais gravé en eux…
— C’est vrai, Georges, nous sommes si jeunes il nous sera facile de nouer de nouvelles amitiés, de nous défaire de nos habitudes ; Mais eux, ce sont leurs racines qu’ils laissent là-bas : Alger la blanche, la Madrague, Sidi Ferruch, Les figues éclatées de sucre tombant sur la véranda, les méchouis au bord de la plage et le sempiternel verre de thé à la menthe accompagné de douceurs ; C’est un morceau de leur cœur qui restera à jamais dans le port d’Alger…
Elle avait laissé son regard errer sur l’horizon, retenant ses larmes. C’était une nuit très claire, les étoiles, nombreuses, invitaient à la rêverie. Dans d’autres temps peut-être ?…
Georges se tourna un instant vers elle, et l’espace d’un instant, il eut envie de passer un bras autour de ses épaules, mais il devina d’instinct qu’il ne fallait pas.
Le vent fouettait leurs visages. Lydia savourait une étrange sensation de liberté après tous ces mois de crainte. Elle soupira sous la brise et ses yeux s’attardèrent sur la mer. Les vagues s’étiraient dans un murmure soyeux, abandonnant l’opacité des grands fonds pour remonter dans un chatoiement de bleu verdoyant. Le vent les enveloppait des effluves de la terre, mélange de senteur épicées et musquées, aussitôt évaporées en embruns salés dont ils garderaient le goût à jamais…
Une pluie d’étoiles filantes traversât le ciel, chassant pour quelques minutes la nostalgie qui envahissait leurs âmes.
— Quel sublime spectacle, n’est-ce pas Lydia ? Rien de plus beau ne pouvait couronner la magie de notre rencontre.
— Oui, avait-elle, répondu, dans un soupir, mais qui sait si nous nous reverrons au-delà de ce voyage ? Un sourire triste se dessinât sur ses lèvres, elle cherchait dans le regard de son compagnon une raison d’espérer. Dès les premiers mots échangés, elle avait su qu’elle voulait passer sa vie à ses côtés et elle lut à cet instant le même désir dans les yeux de Georges…
— Lydia, je vous connais si peu et pourtant il me semble que chacun de mes pas dans cette vie m’ont guidé vers vous…
Ce bateau qui lui volait son enfance et ses souvenirs venait de lui offrir l’amour en échange, le premier, celui de sa jeunesse. « L’amour », un mot dangereux à prononcer mais qui dansait déjà au bord de leurs lèvres.
Lorsqu’elle rejoignit sa cabine, Lydia était en proie à un sentiment merveilleux qu’elle ne parvenait pas à dominer. Elle était incapable de confier à son père les émotions qui se bousculaient en elle, désirant garder encore le secret de cet amour naissant, oscillant entre un optimisme fou et le découragement le plus total ; Après tout ce n’étaient peut-être que des mots ? La magie du voyage ! L’océan avait dû être témoin de tant de promesses…
Mais avant que le bateau n’accoste Georges avait confié ses sentiments à Lydia :
— Nous nous reverrons, j’en suis certain Lydia. Peu importe le temps ou la distance, je t’épouserais et nous fonderons à notre tour une famille…si tu veux de moi bien sur…
Des larmes de bonheur roulaient sur les joues de la jeune fille, sa pudeur l’empêchât de se jeter dans les bras de Georges et c’est la voix tremblante qu’elle répondit.
— Je suis à mon bien aimé et mon bien aimé est à moi…
Le chemin des deux familles se séparait sur le quai, les Sadoun restaient à Marseille et les Timsit continuaient leur voyage en train jusqu’à Paris.
Ce voyage resterait gravé à jamais dans leur mémoire, il leur faudrait attendre que le destin les remette en présence, mais ils sauraient patienter…