Chronique – Couple

par Déborah Malka Cohen Alias Junes Davis

Savoir laisser la place à l’autre

Pour laisser la place à l’autre, il faut d’abord trouver la sienne et cela peut parfois prendre du temps, voire toute une vie ! C’est un vrai challenge, de connaître sa place en solo, en société et d’autant plus quand on est en couple.
 
Pour écrire sur ce très vaste sujet, je me suis inspirée de notre cher et bien aimé Rav Haim Sitruk Zal’. Comme à chaque fois que je l’écoute, je suis sincèrement heureuse d’entendre l’un de ses enseignements. Pour reprendre ses dires, donner la place à l’autre est une preuve de respect. Respecter les choses ou une personne, c’est prendre garde de ne pas le détériorer, ou de se l’approprier. Il faut juste savoir en prendre soin et l’aimer. L’amour pour l’autre passe automatiquement par le respect qu’on lui doit. Donner la possibilité à l’autre de se révéler, c’est accepter une relation qui n’est pas à sens unique. C’est lui laisser une marge de manœuvre nécessaire pour s’impliquer dans notre histoire de couple, et laisser l’autre avoir son mot à dire.
 
En écoutant les sages paroles du Rav, cela m’a tout de suite fait pensé à une anecdote qui fait totalement écho au thème du jour. En y réfléchissant bien, ce n’est que tout récemment que j’ai compris à quel point, il était important de donner la place à l’autre. Je l’ai saisi à travers ma sphère privée avec une drôle d’aventure qui m’est arrivée cet été en compagnie de mon mari et mon fils.
 
Au tout début de nos années de mariage, avec mon mari, nous nous étions répartis les tâches de notre foyer. Lui s’occupait du côté extérieur et moi de notre intérieur. Chaque fois que l’un de nos enfants avait un petit bobo à soigner, une gastro à guérir, des devoirs à corriger, c’était mon domaine ! Lui se contentait de superviser les choses de loin. Au bout de quelques années avec cette routine de couple, les choses étaient bien établies et à priori rien ne pouvait les changer.
Entre nous, il y avait toujours cette petite blague, sous-jacente d’un reproche, que ce serait sympa si un jour il arriverait à mémoriser les noms des maîtresses de ses enfants et leurs grades scolaires.
Au fil du temps, je me suis remise à avoir une activité professionnelle. Étant moins présente, il se sentait légèrement plus concerné par l’éducation de nos enfants et de la vie à la maison.
Même si nous avions beaucoup changé tous les deux, au point où la frontière du « qui fait quoi dans la maison » était floue, l’estime que j’avais pour mon mari dans le domaine de la maison n’était pas bien haut.
Bien sûr, jamais je ne me suis permise de le formuler à voix haute, mais cette petite blague que je lui balançais sur sa modeste implication envers notre foyer était récurrente. Et puis, il y a eu cette forte séquence au mois d’Août dernier.
Mon mari, mon fils et moi-même, étions tous les trois en route pour faire avancer notre dossier Green Card/La carte verte. Mes filles étaient sagement restées à la maison, gardées par mon bras droit numéro un, qui est ma femme de ménage. Comme nous habitons près de l’Hudson River, le vent souffle souvent fort et il arrive que ce soit même dangereux. En hiver c’est pénible. En été, c’est sympa.
Ce jour-là en particulier, le vent soufflait à une vitesse folle, à me décoiffer la perruque ! Coutumier du fait, nous marchions vers le taxi qui devait nous emmener à l’adresse indiquée sur nos feuillets. Tout à coup, je remarquais qu’un poteau planté juste près de moi, menaçait de se détacher du sol par le souffle du vent. Soucieuse de faire la route, je confiais à mon mari que tout ceci n’était pas très prudent. Il m’expliquait que nous avions attendu trois mois pour obtenir ce rendez-vous et qu’il serait très difficile de retrouver une nouvelle date dans un futur proche.
–Ce n’est pas un peu de vent qui va nous arrêter ! Depuis quand tu es devenue une mauviette, fillette !?
 
Je voulais lui rétorquer que je n’avais pas été une mauviette chaque fois qu’il avait fallu emmener un enfant d’urgence à l’hôpital, car c’était Bibi qui s’y était tout le temps collée ! Préférant éviter vers une pente glissante verbale, je ne disais mots, même si au fond de moi, je ruminais comme une vache rousse. Lorsque nous prenions place dans le taxi, la voiture tanguait par le vent. Le chauffeur de taxi démarrait quand même. À peine trois pâtés de maison parcourus, je vois foncer droit sur nous un couvercle de poubelle. Par miracle, le chauffeur l’esquive. Très inquiète, je faisais savoir à mon mari et à mon fils qu’il était plus prudent de faire demi-tour et tant pis pour le rendez-vous. La carte verte attendra !   
Là encore, mon mari m’assurait que ce n’était pas un petit vent d’été qui allait nous faire rebrousser chemin. À peine avait-il fini sa phrase que le pare-brise s’explosait en mille morceaux sous le poids d’une énorme pancarte qui s’était détachée d’un feu tricolore. Sans même avoir eu le temps de dire ouf, mon mari sauta sur mon fils et moi-même pour nous protéger des éclats de verre qui retombaient sur nous par millier.  Au bout de quelques secondes, une fois le choc passé, le chauffeur, mon mari, mon fils, et moi-même sortions de la voiture et constations avec grand soulagement que personne n’était blessé ! Pas la moindre égratignure alors que Has vechalom, c’était pratiquement le ciel qui venait de nous tomber sur la tête.
 
En faisant demi-tour vers la maison, nous disions définitivement un grand au revoir à nos chances d’obtenir la green card avant la fin de l’année. De plus, je regardais mon mari avec des yeux tout neufs.
 
Et si ces milliards de petits bouts de verre représentaient ces milliards de petites pensées que j’avais accumulées au fils des années passées auprès de lui !? Ces mêmes pensées qui me disaient qu’il n’avait pas sa place d’éducateur, de père, et d’homme présent pour ses enfants. En ayant ce réflexe héroïque avec pour seul but de nous protéger, cela mettait fin à cette pollution de l’esprit qui était complètement fausse !  Mon mari était plus qu’à la hauteur et avait bel et bien sa place. Je compris que durant toutes nos années communes, il avait simplement voulu entretenir cette illusion qu’à la maison c’était moi la boss, alors que nous étions depuis un bon bout de temps complémentaires !
 
Il a fallu que nous traversions cette épreuve pour qu’Hachem me montre la place de mon mari ! Il était là, comme un rock à répondre instinctivement présent. Depuis, le respect est omniprésent, la blague sous-jacente mais récurrente n’existe plus et je peux apprécier pleinement la valeur de mon époux.
 
Maintenant est-il facile au quotidien de donner la place qu’il convient à ses amis, à ses parents, à son conjoint, et à ses enfants ? La réponse est clairement non ! La frontière est très mince entre aimer l’autre et l’étouffer par son omniprésence ! Tout est une question d’équilibre et d’avoir le bon dosage envers ceux qui nous entourent. Sans nous en rendre compte, dans certaines situations nous pouvons porter atteinte à la liberté de l’autre, en nous montrant trop autoritaire, ou poussé par cette volonté de le protéger à tout prix, se mêlant de tous les pans de sa vie.

Or, laisser la place à l’autre, c’est pouvoir s’enrichir en lui donnant la possibilité de rester lui-même. Parfois, il arrive même qu’on en soit épaté !

Tout ceci peut-être déroutant car l’amour que l’on éprouve pour quelqu’un est un sentiment positif, donc il serait malvenu de reprocher à une personne de trop l’aimer. Et pourtant… comme la Torah nous l’apprend, même dans une Mida positive, quand on tombe dans l’excès cela devient une Mida négative.
 
Donner trop à l’autre, c’est lui couper l’herbe sous le pied ! Surtout dans un couple. Il est primordial de donner à l’autre la possibilité de nous prouver qu’il nous aime en retour. En faisant un peu moins, lui en fera un peu plus !  
 
Souvent, de nombreuses femmes m’écrivent pour m’expliquer que leurs maris ou leurs enfants, n’aident en rien à la maison. Ayant toute la charge physique et mentale du foyer sur leurs épaules, elles sont constamment épuisées. Qui ne le serait pas ?
 
Je tiens à souligner qu’il n’y a écrit nulle part, que la femme doit tout faire toute seule ! Parfois, elles me confient qu’il est plus simple qu’elles fassent les choses par elle-même car le conjoint n’est pas assez réactif lorsqu’elle demande de l’aide. Résultat : agacées et déçues d’avoir demandé cinquante fois la même chose sans rien obtenir en retour de manière immédiate, elles abandonnent et recommencent à effectuer toutes les tâches toute seule.
À court terme, cette réaction est efficace mais à long terme, elle tue à petit feu la femme. De nombreux problèmes peuvent en découler.
 
Le Rav Touitou propose une méthode radicale pour y remédier : laisser le mari et les enfants seuls une journée entière à la maison pour les laisser se débrouiller entre eux. Non seulement ils se rendront compte de la masse de travail que la maman effectue en une journée, mais en plus ils ne rechigneront plus à aider car ils se rappelleront avec effroi de cette journée sans maman.
 
L’idéal serait aussi de s’asseoir une fois par semaine et de formuler très clairement les domaines où l’on souhaiterait être soulagée. Oui, il peut sembler aberrant que ce soit la femme d’organiser tout ceci, mais il ne faut pas oublier que la maison est son royaume. Même une reine dans son palais doit savoir répartir les tâches et apprendre à déléguer car elle ne peut pas tout faire. Nous devons prendre en compte que l’autre n’est pas comme nous, et qu’il a sa propre façon de faire, ce qui peut être ultra enrichissante.
 
Au début, il peut y avoir quelques ratés : « Tu n’as pas pu faire encore les machines, ni étendre le linge !? Mais quel dommage ! Je ne vais pas avoir le choix que de racheter plein de fringues aux enfants et à moi-même. Ils ne vont plus rien avoir à se mettre sur le dos ! Tant pis ! » mais en se montrant patiente et détachée, on obtient des résultats très positifs.
 
En mettant l’autre face à ses responsabilités, c’est aussi apprendre à laisser de l’espace. Cela permet de respecter l’autre, et de lui offrir des moments de tranquillité pour favoriser son développement personnel. Donner la possibilité à l’autre de se révéler, c’est accepter une relation qui n’est pas à sens unique. C’est lui laisser la marge de manœuvre nécessaire pour s’impliquer dans votre couple. Tant du point de vue des initiatives, que de la participation aux décisions importantes ou quotidiennes, il doit avoir la liberté de s’exprimer et d’être soi-même.
 
Comment y arriver même si c’est plus fort que nous ?
1/ Il faut accepter que nous ne sommes pas parfaits, que l’autre ne l’est pas non plus. Je sais que c’est dur mais on y arrive.

2/ Reconnaître qu’aucun des deux n’a tous les torts, chacun endosse une part de responsabilité dans la santé du couple. Les deux peuvent donc faire un effort pour modifier des comportements qui ne sont pas appropriés.

3/ Laisser à l’autre la liberté d’être lui-même. Cela va lui procurer le bien-être dont il a besoin, et par conséquent, il se sentira bien dans sa peau. Il pourra même avec le temps, être encore plus amoureux car il sera en harmonie avec lui-même. Bref, c’est une situation d’où chacun sort gagnant ! Pour conclure, je donnerai un dernier exemple quant à celui de la place difficile « du sandwich » au sein d’une fratrie. Ceux qui sont au milieu devront déployer beaucoup d’efforts pour trouver leur place dans la société car généralement « les sandwichs », sont de bonnes pâtes qui s’adaptent plus facilement à tous types de caractères. Bien sur ce petit constat n’est pas une généralité. Étant le numéro, sur quatre enfants, je me souviens que le Chabbat à table, tout le monde écoutait avec beaucoup d’attention ma grande sœur car elle avait le statut d’aînée. Il m’était très difficile de pouvoir en placer une à l’oral. Me sentant souvent frustrée de ne pas être autant écoutée, c’est sûrement pour cette raison que des années plus tard, je me suis mise à écrire des livres ! Ma voix a enfin trouvé sa place dans la société, et mes mots se trouvent soit entre les mains de mes lecteurs, soit sur une table de chevet, soit rangée dans une bibliothèque !


Merci Rav Sitruk de m’avoir inspiré ces quelques mots.