par Déborah Malka Cohen Alias Junes Davis
Et si le Hessed était la magie de notre monde …
Le mot Hessed pourrait se traduire aisément par les termes : générosité, bienveillance et bonté. Lorsque l’on connait la signification profonde de ce mot, il serait assez réducteur de le résumer par ces trois petites désignations car c’est beaucoup plus que cela. C’est un état d’esprit, un mode de vie où je fais attention à ses besoins comme je fais attention aux miens. Dans les Pirké Avot il est explicitement écrit noir sur parchemin que le monde repose sur trois piliers :
« העולם עומד על שלושה דברים: על התורה, על העבודה ועל גמילות חסדים »
« La Torah, les Mitsvot (la Avoda) et le Hessed ».
Dans notre société qui prône l’individualisme avec ses slogans à gogo « Ne pensez qu’à vous ! Ne pensez pas aux autres ! Faites ce que vous avez envie sans vous soucier de personne », il peut paraître suspect à la longue de rendre service sans rien attendre en retour, ou pire encore : s’intéresser à l’autre juste par sympathie. Neuf fois sur dix, on peut facilement se faire passer pour quelqu’un d’intrusif, voire de malveillant !
En tant que juif, si nous avons un pied dans le chemin de la Torah et un autre sur la route non-juive, on peut facilement devenir schizophrène ou bipolaire ! Nous sommes tiraillés entre ce collectif qui nous incite sinueusement à trouver le bonheur à travers soi, alors que notre Torah Emet nous enseigne le contraire : donne à l’autre sans compter. Pouvons-nous réellement agir de cette manière à donner notre temps, notre énergie, notre écoute sans être happé par ce sentiment négatif de se faire avoir par l’autre ! Où trouver le juste milieu pour accomplir cette magnifique Mitsva qu’est Hessed sans le sentiment de malaise qui va avec !?
Je crois que le mieux est que je vous raconte une histoire ou plutôt une petite anecdote qui illustre bien mon propre rapport compliqué avec ce truc de « trop donner ».
La première fois que j’ai entendu le mot Hessed fut bien avant mon entrée en 6e, à l’école Sinaï à écouter Madame Marciano, l’une de mes profs de Kodech. C’était lors d’un concert donné par feu les Pikhé Yéroushalaïm. Vous savez ce savoureux mixte entre le Boys band et les choristes, composé de dix-huit garçonnets, venus tout droit de Jérusalem. Pauvres petites françaises que nous étions, jouant les hystériques en tapant des mains et des cris pour montrer notre affection au petit soliste du groupe. En plus de chanter divinement bien debout les mains derrière le dos, ils prodiguaient des paroles de Torah à travers leur tube «העולם עומד על שלושה דברים: על התורה, על ». C’était mon papa qui avait organisé leur venue au sein de notre communauté. En parlant de mon papa, d’aussi loin que je me souvienne, je l’ai toujours vu répondre au téléphone pour écouter ou prodiguer des conseils à celui qui en avait besoin et qui faisait appel à lui, de jour comme de nuit. À l’époque, je saisissais mal l’intérêt que lui et ma maman avaient de se montrer aussi disponibles pour les autres. Notons que ce raisonnement était basé sur une gamine qui était toute contente de regarder Dragon Ball Z. Je continuais de regarder d’un œil critique leur manière d’être au service des autres jusqu’à cette fameuse nuit.
Je devais avoir 14 ou 15 ans quand sur les coups de 4 heure du matin, ma maman m’avait secouée comme un cocotier pour que j’aille garder les enfants de notre voisine. La pauvre dame venait de perdre un membre de sa famille alors que son mari était en déplacement. Le regard hagard, les paupières encore lourdes, je me souviens avoir enfilé le premier truc qui m’était tombé sous la main pour exécuter ce que l’on attendait de moi.
Le visage courroucé, je m’apprêtais à pester contre ma mère qui m’avait tirée de mon sommeil mais elle m’en avait vite dissuadée :
– Ma fille si tu grognes pour rendre service tu perdras tout le bénéfice de ta Mitsva. Fais le plus vite que tu peux. C’est urgent !
Toujours grognon par le manque de sommeil, je m’étais abstenue de tous commentaires, et descendit pour me rendre au trottoir d’en face.
En arrivant chez la voisine, elle était si bouleversée qu’elle avait à peine échangé trois mots avec moi. Avant de prendre ses clefs de voiture et filer, elle m’avait juste invitée à me reposer sur le canapé.
Juste après son départ, une petite tête était passée par le salon et avant même d’avoir le temps de réaliser qui était le ou la propriétaire de ce petit corps, l’un des enfants était reparti dans sa chambre. Sur les coups de 9h, ma voisine était revenue. Pendant des années, je n’ai plus du tout repensé à ce service rendu.
Malgré tout, j’avais pris goût à rendre service « pour rien » et en grandissant, j’ai tenté de conserver cette chose qui est devenue un trait de caractère.
Des tas de fois, je me suis fait traiter de fille « trop gentille, d’être toujours le dindon de la farce, que tout le monde me marchait sur les pieds etc etc… » Mille et une fois, je me suis retrouvée dans des situations très pénibles qui me portaient souvent préjudice. À la longue, rendre service est devenu un presque un défaut et je devais à tout prix m’en débarrasser. Pour y remédier j’ai entamé une thérapie qui devait m’aider à lutter contre ce trait de caractère qui pour notre société est synonyme de faiblesse.
Au bout d’un an, en pleine séance avec ma thérapeute, je reçu un message d’une jeune fille qui me demandait si j’étais bien Madame unetelle, fille du Rabbin untel. Tandis que ma thérapeute me parlait, de manière assez impolie, je répondis très rapidement par l’affirmative. Sa réponse ne s’était pas fait attendre. Je ne pouvais faire autrement que de la découvrir étant donné qu’elle apparaissait sur mon écran.
Elle me racontait qu’une nuit sa mère avait perdu sa sœur dans un tragique accident de voiture. Du haut de ses dix ans, elle n’avait jamais vu sa mère pleurer aussi ravagée par le chagrin. C’était limite insoutenable pour elle que de la voir dans cet état. Étant l’aînée de ces quatre petits frères et sœurs, même si elle était très angoissée à l’idée de les garder, elle avait quand même proposé à sa mère de le faire car personne n’allait se déplacer en pleine nuit pour les surveiller.
Et puis, je suis venue à peine cinq minutes après le coup de fil de sa maman qui demandait de l’aide au Rabbin. Je m’étais apparemment allongée sur le canapé jusqu’au petit matin au retour de sa mère. Elle m’avait aperçu dans le salon. Apparemment, je lui avais enlevé un poids énorme de sa poitrine de petite fille, alors que je n’en avais même pas conscience. Cela faisait des années qu’elle me cherchait sur les réseaux pour me remercier. La vie a fait qu’elle m’ait retrouvée ce jour-là, à cette heure-là précisément !
Je n’avais jamais autant réalisé à quel point un minuscule effort de ma part avait eu un aussi grand impact.
En pleine séance de thérapie où j’essayais de trouver par tous les moyens des solutions pour me débarrasser « de cette horrible » envie de rendre service tout le temps, mes larmes ont commencé à couler le long de mes joues.
Depuis douze mois de thérapie et après avoir dépensé une petite fortune, je faisais fausse route.
Ce message était une piqure de rappel des cieux ! Bien sûr qu’il était urgent de réduire mes ardeurs, car la Torah elle-même nous demande de faire les Mitsvot de façon modérée.
Par politesse, j’avais fini ma séance mais j’avoue que je n’écoutais plus. J’avais remercié Hachem de tout mon cœur de m’avoir donné ce cadeau « d’être trop gentil » car nous ne sommes jamais trop gentils. Nous devons juste nous poser les bonnes questions et voir le monde en 3D. Suis-je ici, dans ce monde, pour plaire en agissant « comme il faut » où je suis là pour essayer de ressembler à notre créateur même de manière infime.
Toutes nos actions dans l’univers représentent l’étincelle initiale qui déclenche beaucoup de choses aussi bien dans notre monde, que dans le monde d’en haut. Dans notre monde, notre monde visible, le ‘Hessed n’a pas de motif, il est l’expression proactive de la splendeur d’Akadoche Barouhou !
Cette magnifique Mitsva n’a pas vocation à être faite de manière grandiose. Envoyer un message pour prendre des nouvelles d’une amie, ou quelqu’un de moins proche, rentre complètement dans la Mitsva.
Le simple fait de s’intéresser un peu à l’autre peut re-donner littéralement la joie, par extension la vie à quelqu’un. Aider un ami pour son déménagement, apporter un plat à une maman pour la soulager, cela nous relie non seulement à l’autre mais aussi à Hachem. Car si Hashem déteste quand on se déchire entre nous, IL adore lorsque nous nous montrons miséricorde les uns envers les autres.
Grâce à des associations comme Ohel Shmouel nous avons la possibilité d’effectuer du Hessed en continu.
Laissez-vous emporter par la magie du Hessed. N’ayons jamais peur de nous montrer trop bon. On vous le rendra au centuple le jour où vous ne vous y attendrez jamais car si nous on oublie nos bienfaits, Hashem, Lui est toujours là pour nous les rappeler !